Bernard de Bages (1941), artiste peintre, assembleur et graveur

‘Peindre me permet de respirer. Il ne se passe pas une journée sans que je sois dans mon atelier.’

Bernard de Bages
‘Je peins sur des tableaux de bois, que j’assemble à partir de vieilles planches qui ont du vécu. Le bois m’attire par son odeur et son touché ; c’est une relation sensuelle.
Le platane est mon arbre préféré pour travailler mais c’est un matériau lourd et rare.’
vieilles planches
Dans le Golf du Lion où j’habite, les charpentiers de marine utilisent le platane justement à cause de son poids pour fabriquer le gouvernail de leur barques catalanes.
Golf de Lion

‘Dans cette région sauvage de la Méditerranée je me sens chez moi. Le vent qui y souffle, le Mistral (la Tramontane), domine tout. Ce vent fort peut tenir trois, six ou neuf jours de suite sans repos. Cela a quelque chose de magique. Comme une force gigantesque qui nettoie tout sur son passage. L’air est alors pur, la lumière merveilleuse et les couleurs sont intenses.’

Tramontane

‘Le Mistral déclenche quelque chose en moi. Pendant ces périodes, c’est souvent avec mes doigts que je modèle la peinture directement sur le bois, j’utilise alors des couleurs primaires. En parallèle je peins des portraits et des dessins enfantins, pour m’amuser.’

portraits
‘À ces moments très expressifs suivent le recueillement et la réflexion. Je me concentre, choisi un « beau morceau de noyer » sur lequel je m’applique avec des lignes, des blocs et des croisements.’
blocs et croisements
‘Un peu plus tard je mets ce travail introverti de côté et reprends un cours plus libéré. C’est un rythme, une cadence : comme le vent. Le Mistral est suivi du Marin, un vent calme qui nous vient de la mer et adoucit tout avec la brume qu’il apporte. Ces deux éléments extrêmes sont opposés: ils forment ensemble un équilibre. ’
la vie sentimentale de Néné, bourrelier de son état

On a souvent l’impression qu’il se passe simultanément plusieurs choses dans le travail de Bernard de Bages. Des figures et des formes font leurs entrées sur les panneaux et les gravures : les unes sont le reflet de joyeuses pensées, les autres d’éléments mélancoliques. Lui même y voit une ressemblance avec le théâtre simultané du Moyen Age.

‘Certaines scènes peuvent être tragiques, tout en gardant une dimension comique. J’ai de bons moments de rigolade seul dans mon atelier. C’est un fait qu’il arrive beaucoup d’imprévus dans une vie. La meilleure façon de vivre en harmonie c’est de nager avec le courant, d’en rire et d’en pleurer. Le mieux, c’est quand on peut raconter son chagrin avec humour, de cette manière on le dépasse.’

* La France, Languedoc-Roussillon

Interview Mirthe Blussé

traduction Charlotte de Bruijn

 

Discours inaugural a l'occasion de l'exposition des grands chemins 2009 à Minerve de François Féral

Qu’est ce que c’est ce bric-à-brac ?… Qu’est-ce que c’est que toutes ces touailles?  Qu’est-ce que c’est que ces gribouillages et ces dessins de maternelle ?… Et tout ce gaspillage de peintures qui nous  estransine « avec des choses qu’on y comprend rien » ? Et d’abord qui c’est ce type ? Qu’est que c’est ce trochamand ? Il est pas d’ici ce type ! Y prononce par les R comme à Narbonne…     
Qui c’est cet érotomane qui montre toutes ces femmes avec leurs ventres et leurs tetons ? 
Depuis  toujours,  nous autres les fils des cathares, nous autres les occitans, on en croise tellement de l’estrangieralha  sur la via domitia... Autrefois, il en est passé tant de touristes incultes remplis d’arrogance et de Coca-colas… Depuis les choses ont bien changé.  
Et puis, nous avons trop soupé de vents et de lumières pour voir encore les couleurs qui nous aveuglent. Les grecs et les romains nous ont laissé tant de brocantes sous les ceps de nos vignes et dans le ventre de nos étangs qu’on est blasé de tessons d’amphores, d’épaves et de vestiges. Alors, il est arrivé   « le batave » : et il en a pris un sacré coup. Un sacré coup de soleil sur la tête, une lampejada qui te fait bouillir la casquette. Un sacré coup de vent, une bufania qui déferle sur ta barque catalane et qui te déchire ton lati.  

Et puis c’est lui, Bernard, qui vient d’un pays noyé de pluie, qui nous explique notre soleil ! C’est lui, lui qui avec ses yeux délavés, nous rappelle l’éclat de nos couleurs ! C’est lui, l’homme des polders et du plat pays, qui avec ses doigts grossiers, dessine nos garrigues, nos étangs, nos barques et nos poissons ! C’est lui, lui qui avec ses grosses mains barbares caresses les formes féminines de nos barques, les rondeurs de nos arbres et de nos épaves polies de sels et d’embruns. C’est lui qui bichonne nos voiles latines qui  pourrissent dans nos mémoires et dans la poussière de nos musées !
Bernard, avec ses tripes pleines de bière nous fait retrouver les tanins de nos Corbières. Il a un groin de sanglier pour aspirer les odeurs et les phéromones: dans sa tête, tout ça se mélange avec le soleil et le Mistral. Alors c’est devenu un Faune de mer qui a troqué ses cornes et ses sabots contre des phallus pisciformes pour faire renaitre les désirs de nos bas-ventres : il y met la crudité des symboles et des couleurs, la trouble sensualité des sexes et des écailles visqueuses qui se marient dans des Noces bageotes que Camus aurait célébrées.
  
Vite ! Allez à Minerve pour retrouver la sensualité bachique de notre latinité oubliée, la paillardise des dessins, de la lumière et des tons criards de la Méditerranée ! 
Courrez à Minerve à la rencontre de Bernard de Bages : sur ses toiles, le Mistral a soufflé les bougies qui éclairaient les figures hollandaises de ses illustres ancêtres… et le soleil du Languedoc a fait exploser l’impudeur des formes et des couleurs.  

François Féral 
Professeur à l’Université de Perpignan
27 septembre 2009